« Sa peau, dispositif de fiction, vous signifie que vous pouvez à tout moment incruster votre propre image sur lui : c’est l’écran bleu de votre imaginaire. »
— Patrick Gyger
L’Homme bleu fait sa première apparition à Bâle en 1999. Depuis, il est difficile pour André Kuenzy, l’artiste caché dans l’étrange costume azur, de ranger au placard sa seconde peau en latex. De sa terre neuchâteloise au Japon, de l’Inde au Mexique, en passant par les États-Unis, la Thaïlande ou le Sénégal, cela fait plus de vingt ans qu’il collecte des rencontres et des histoires en Europe ou ailleurs dans le Monde.
Créature étrange et silencieuse, ce globetrotter à l’apparence atypique, relève le défi de partir au contact des passant·e·s sans jamais leur adresser la parole. Face à ces anonymes, il provoque et immortalise des réactions tantôt curieuses, tantôt effrayées, mais jamais indifférentes. Ouvert à toutes les fantaisies, suspendu hors du temps et des normes, le personnage incarné par André Kuenzy entraine tou·te·s ceux·elles qui le croisent dans un moment de partage fragile, poétique et surréaliste.
Note d’intention d’André Kuenzy, créateur de l’Homme bleu
En 1990, sortant de l’EPFL muni d’un diplôme d’architecte, j’ai vu mon destin se lier étroitement à la vaste friche laissée à Neuchâtel par le départ du chocolatier Suchard. Notre bureau s’était en effet installé dans la plus ancienne usine de ce site nourri de plusieurs siècles d’histoire industrielle. Fabuleux terrain de jeu pour l’imagination, ce vallon de la Serrière a dès lors constitué une source d’inspiration sans cesse renouvelée pour mes différents projets. Huit ans plus tard, l’opportunité s’est même présentée à moi d’acquérir deux éléments significatifs de cet ensemble, l’ancien entrepôt à palettes et le silo à sucre attenant, tous deux situés à la rue des Usines.
En 1999, j’ai entamé une collaboration avec le CSEM (Centre Suisse d’Electronique et de Microtechnique de Neuchâtel) sur un projet sélectionné pour la future Expo.02. Imaginant la « famille universelle » que représenteraient les futurs visiteurs de cette manifestation, j’ai filmé quatre protagonistes revêtus de combinaisons de plongée noires devant un écran bleu. Inspiré par cette expérience du bluescreen, qui m’offrait la possibilité de placer ensuite mes personnages dans tous les décors possibles, l’idée m’est alors venue de poser le bluescreen sur un personnage, pour le transformer en écran mobile. Je me suis donc procuré une tenue de plongée bleue, dans laquelle j’ai été me promener à Bâle pendant toute une journée. Enthousiasmé par l’expérience, j’ai décidé de poursuivre l’aventure. Pour documenter mes prochaines sorties, j’ai placé une petite caméra dans ma combinaison et adapté l’anatomie de mon personnage en conséquence. L’Homme bleu était né !
L’Homme bleu ne parle pas : il est imprégné de la richesse de cette approche muette qui permet un contact sans a priori, sans message à transmettre. Très vite, il a compris que sa condition lui permet d’entrer en relation avec des personnes de genres, d’âges, de cultures et d’horizons différents. Sa présence révèle l’autre, qui lui offre une histoire de rencontre. Il se sent rapidement comme une sorte d’ambassadeur libre, dont la mission est simplement de relier les gens entre eux. Conscient du côté dérisoire de son entreprise, il a néanmoins le sentiment de créer du lien, de rassembler les humains. Au cours des deux décennies suivantes, le personnage a visité une vingtaine de pays dans le monde et rencontré des milliers de personnes.
Créer une exposition retraçant vingt ans de parcours à travers le monde découle du désir de partager la richesse de l’expérience humaine que j’ai eu le privilège de vivre avec les autres. La conception mobile et autonome de l’objet doit lui permettre d’être accueilli facilement n’importe où et parfois même de constituer une belle occasion à l’Homme bleu, de l’accompagner.
André Kuenzy Neuchâtel, juin 2018